Les prix Varenne valorisent le reportage
13 | 11 | 2025
Avec un peu plus de 700 candidats, le concours Varenne 2025 mobilise au-delà des attentes. La Fondation a primé cette année des reportages (excellence du métier de journaliste) qui mettent l’accent sur des tranches de vie où l’humanité est au rendez-vous.

Jury Prix Varenne de la RADIO du 3 novembre dernier Sur la photo de gauche à droite : –
Philippe Page, Catherine Mangin, Yann Abback, Béatrice Denaes,
Isabelle Poiraudeau, Patrick Roger; Isabelle Chenu ; Agathe Mahuet.
Dans les premiers jours de novembre se sont réunis les jurys des prix Varenne 2025 en présence de Jacques Mailhot, président de la Fondation et Philippe Page, conseiller spécial du président. Cette année les concours ont réuni un peu plus de 700 journalistes, la meilleure participation depuis que le concours a été créé en 1989 ! Beau succès dans un concours qui a pour principe de mettre en valeur la qualité journalistique, le travail de la profession fondée sur les bases d’une information sourcée et rigoureuse, des principes déontologiques incontestables et soucieuse des valeurs d’humanisme et de respect des grands principes de la République, celles d’Alexandre Varenne, le fondateur du journal La Montagne.
En presse locale ; tous les grands groupes
Le concours de la sections PQR-PQD (204 inscrits) a vu pratiquement tous les groupes de presse de l’hexagone mais aussi d’outre-mer participer. Et c’est bien un travail de terrain avec le reportage d’une journaliste du Télégramme qui a remporté le Grand prix. Il s’agit d’un éclairage fort sur le rôle d’une communauté migrante dans la chaîne agricole bretonne avec la récolte des légumes dans le Léon, ce coin du nord Finistère. C’est ici la démonstration de l’utilité de migrants qui reviennent chaque année et qui sont intégrés dans une communauté locale. Les employeurs racontent. Et l’un d’eux a cette phrase : « Quand tu leur donnes, ils donnent en retour. » A méditer. Terrain encore avec le prix jeune à un journaliste du Dauphiné Libéré qui met l’accent sur la solitude d’un homme fidèle à sa montagne. Comme tant de villages oubliés dans les campagnes, et ici en montagne dans le Trièves en Isère. Jadis le village était foisonnant de vie, aujourd’hui il n’y a qu’un survivant qui s’accroche et qui dit lui-même à 83 ans faire vivre encore le lieu parce qu’il est toujours là. Quant au prix numérique il fait honneur à la presse locale avec La Voix du Nord qui donne la parole à une dernière vivante de la déportation, Lili Keler-Rosenberg, 92 ans, pour ne jamais oublier. Elle est la dernière rescapée de la Shoa dans le nord de la France. Elle se raconte dans une série de vidéos qui sont à livrer pour la transmission de la mémoire.
Quant au beau et nouveau concours (il n’a que 2 ans) de la presse Magazines en région, il récompense une journaliste du remarquable Pyrénées magazines pour un reportage qui met en avant la conjugaison de la solidarité et des paysages de montagnes. Reportage dans une école de parapente qui permet aux personnes valides et handicapés de se former au vol libre dans un esprit de mixité et d’inclusion.
Presse locale encore, la PHR fait montre si besoin d’un journalisme dynamique et dont les reportages sont souvent bien ancrés dans l’actualité du moment. Dans cette section le nombre de jeunes journalistes est particulièrement important par rapport au nombre total de candidats. C’est un hebdo d’Outre-Mer, France-Guyane, qui remporte le prix jeune en allant voir et raconter le quotidien des détenus d’une prison de ce territoire. Le grand prix revient à un journaliste d’un hebdo du Val de Loire, La Renaissance Lochoise, pour « Parce que Sandra Blanchet en a rêvé ».
National : des prix très disputés
Le jury de la presse quotidienne nationale a beaucoup hésité parce qu’il y avait la qualité. Certes le reportage au bout du monde est une forte marque de cette presse, mais la PQN vient aussi à la porte du village ou au coin de la rue. C’est ainsi que le Grand prix s’inscrit dans le mouvement de la parole des femmes de cette dernières décennies avec un angle sur le MeeTooPolice, une enquête publiée dans Libération quand le prix jeune a récompensé un journaliste du Monde pour son traitement sensible et plein d’émotion sur le regard des autres lorsqu’on a été défiguré.
Presse nationale encore les magazines nationaux ont aligné 140 articles. Choix des sujets, mise en perspectives des informations, structure des récits, belle écriture, la qualité était au rendez-vous au point que le débat a eu du mal à trancher. A l’unanimité, le jury a décidé de primer ex-aequo pour le grand prix de la section “La vie suspendue des Redwan” de Clothilde Mraffko de M le Mag et “L’étrange cas du docteur Péchier “ de Martin Fort et Lucas Duvernet Coppola de Society. Le prix jeune journaliste a été décerné à Louane Velten d’Epsiloon pour “La vie oubliée : premier récit de notre expérience prénatale”.
“La vie suspendue des Redwan” retrace avec pudeur et délicatesse la vie d’une famille éduquée de Gaza explosée par l’exil dû aux bombardements et l’angoisse de ceux protégés en Cisjordanie ou en Europe dans l’attente des mauvaises nouvelles en provenance de ceux restés à Gaza. Ces vies sont à l’arrêt, pour le moment l’avenir est bouché et se limite à cette formule de l’une des jeunes filles “on boit, on mange, on pleure…on boit, on mange, on enterre…”
“L’étrange cas du docteur Péchier” est un texte long d’une vingtaine de pages qui représente un travail journalistique colossal d’enquête et de recoupement. Il se lit du début à la fin sans arrêt tant la soif de se faire une opinion sur la personnalité et l’éventuelle culpabilité du docteur est grande. D’affaire nébuleuse à la présomption d’innocence du départ, le cheminement du récit n’est pas favorable au docteur actuellement en jugement. Ce magazine démontre que la durée du travail journalistique, probablement un luxe aujourd’hui dans une économie de la presse dégradée, est essentielle pour une information de qualité.
“La vie oubliée : premier récit de notre expérience prénatale” est un texte qui décrit de manière délicate et authentique l’expérience sonore prénatale du bébé qui emmagasine déjà dans le ventre de sa mère des acquisitions primordiales pour l’après naissance en matière de langage et de comportement. Bluffant. Un beau travail sur un sujet peu traité.
Le son et l’image en sensibilité
D’autres jurys ont travaillé sur les autres types de médias. Ainsi le prix JRI, reporter d’image 2025, a été décerné à l’unanimité au reportage bouleversant de Marc Dana de France TV “Immersion seul parmi les enfants atteints de cancers à l’Institut Gustave-Roussy”. Une caméra qu’on oublie, une pudeur absolue, des enfants formidables malgré la maladie, l’amour des familles, des soignants, l’espoir de guérir, ce reportage d’une humanité exceptionnelle donne de l’espoir en dépit du tragique toujours présent. Le prix du jeune journaliste a été décerné à Alexis Brégère de TF1 pour son reportage “Japon, ces séniors vont en prison plutôt qu’en maison de retraite”. Une situation ubuesque dans un des pays les plus riches du monde où des vieillards dans l’incapacité de se payer une maison de retraite préfèrent commettre de petits délits pour être incarcérés est bien traités en prison. Le monde est fou !
Du côté de la radio le jury a noté, « une sélection très relevée cette année » avec la mise en concurrence de 62 reportages dont 22 produits par des jeunes journalistes. Il fallait toutefois noter une tendance de fond dans les reportages proposés, ils sont « très variés et très noirs » selon la présidente Isabelle Poiraudeau qui présidait le jury radio. Le grand prix a été décerné à Sandrine Etoa Andegue de France Info pour son reportage intitulé « La part manquante », l’incroyable histoire de deux sœurs jumelles nées grâce à un don de sperme et retrouvant finalement leur père biologique. Le prix jeune revient à Hermine Le Clech de RTL pour son reportage intitulé « Si je dis à mes copains que je n’ai pas de maison, ils vont se moquer ». C’est une rencontre sensible et poignante avec des enfants sans domicile.
Il revenait au jury de la Photo de conclure ce round 2025. Ici il n’y a pas de sous-section locale ou internationale, il s’agit d’une mise en commun du travail des journalistes-photographes de tous les types de reportages. C’est ainsi qu’on retrouve donc des lauréats qui ont travaillé sur la locale de proximité comme sur le grand reportage des lointains. Le Grand prix Varenne-Canon revient à Josh Edelson (AFP) pour son reportage sur les incendies en Californie. Le prix PQR est décerné à Florian Salesse (La Montagne) pour une photo sur la pose des ailes d’un moulin à vent dans l’Allier (ci-dessous) et le prix jeune journaliste est décerné à Paloma Laudet (Médiapart) pour un reportage en RDC.
On n’a plus qu’à dire à toutes celles et ceux qui ont raté de peu le prix « rendez-vous en 2026 pour le lancement du prix Varenne – le 1er juin prochain ! ». En attendant, prochaine étape : la remise des prix. Ce sera sous la présidence de l’historien et ancien ministre Jean-Noël Jeanneney le 18 décembre 2025 à Paris dans les locaux du Sénat.
Bernard Stéphan (avec Claude Lesme)

